Dans un pays traversé par une crise politique, sociale et morale d’une rare intensité, apprendre et penser sont des actes de responsabilité. Réfléchir philosophiquement, c’est résister, c’est refuser la résignation. C’est chercher, dans la confusion étouffante, un sens, un repère, une direction. C’est aussi cultiver un regard critique sur les évidences, les discours dominants, et les récits imposés. Donc, c’est renouveler l’énergie pour maintenir un brin de lumière malgré les assauts de l’obscur ouragan.
Cette revue est née d’un double mouvement. D’une part, elle répond à un besoin exprimé par une génération de jeunes philosophes haïtiens en formation – principalement étudiants de licence et de master réunis en atelier de recherche et de débat d’idées – de créer un espace critique, libre et rigoureux, en lien direct avec les réalités sociales, politiques et existentielles du pays ; un espace pour créer des liens et œuvrer à la co-conception de l’Haïti de demain, c’est-à-dire un espace de tissage social, de germination d’un « nous » nourri par des « je » lucides. D’autre part, elle s’inscrit dans une dynamique collective qui associe enseignants, chercheurs, étudiants et intellectuels de différents horizons, animés par le désir de prolonger l’engagement universitaire au service de la société, et surtout à la recherche des voix et voies d’un demain meilleur.
Cette revue ne vise pas à disqualifier les efforts intellectuels antérieurs et existants – plusieurs figures de la génération précédente ont mené des combats courageux et parfois solitaires – mais à prolonger cet engagement en ouvrant un espace où l’on pense ensemble, de manière continue, exigeante et accessible.
La revue est certes née dans le cadre universitaire, mais elle n’a pas vocation à rester confinée à la salle de classe. Elle entend étendre la portée du travail philosophique au-delà de l’espace académique, pour nourrir le débat public, encourager l’expression critique et favoriser une culture de la réflexion partagée.
Elle se construit à partir d’une collaboration entre générations : professeurs, jeunes chercheurs et étudiants engagés. C’est dans cette logique de transmission active, de compagnonnage intellectuel et d’engagement commun que se posent les premières pierres de ce projet.
Vision et engagements
La revue ne sera ni strictement académique, ni purement militante. Elle défendra une posture à la fois rigoureuse et ouverte, engagée sans être dogmatique, mais critique. Ainsi combattra-t-elle toute forme de dogmatisme et de crispation identitaire. Par exemple, elle s’intéressera aux critiques décoloniales sans rejeter pour autant l’universel ; elle s’inscrira en faux contre un universel imposé, tout en portant une critique pour dénouer les confusions des positions favorables à l’universel partagé en le complétant radicalement par l’universel structurel, formel, voire sensible (ou du moins en plaçant celui-ci en face de lui, non pas comme un adversaire, mais comme un éclaireur). Pour cela, elle accordera une attention soutenue aux structures profondes de l’esprit humain, de la sensibilité et du langage, qui se déclinent de mille manières mais obéissent à des logiques similaires. D’où l’un des défis méthodologiques majeurs de cette revue : articuler la critique de l’universel avec l’Universel principe, c’est-à-dire avec le maintien d’un horizon commun, d’une exigence de savoir, de rationalité, de rigueur intellectuelle, et de scientificité qui guide les hommes de partout.
Elle s’efforcera donc de :
Favoriser une écriture vivante, ancrée dans la réalité haïtienne et l’actualité mondiale, c’est-à-dire notamment connectée aux débats caribéens, africains et universels.
Ouvrir un dialogue entre la philosophie et d’autres disciplines : histoire, sociologie, lettres, sciences, journalisme, art, savoirs populaires.
Permettre à une nouvelle génération de penseurs de prendre la parole avec sérieux, clarté et responsabilité.
Contribuer à la formation intellectuelle d’une jeunesse lucide, outillée et consciente non seulement de ses responsabilités sociales et politiques, mais aussi de l’importance de soumettre le savoir à la critique rigoureuse afin d’exploiter son pouvoir transformateur.
Contenus et formats
La revue accueillera :
Des essais philosophiques, courts ou longs, ancrés dans les débats contemporains.
Des enquêtes, entretiens, témoignages réfléchis, récits de vie et récits critiques.
Des textes créatifs (lettres, fragments, poésie philosophique).
Des dossiers thématiques, centrés sur des concepts (connaissance, science, liberté, justice, utopie, crise), des penseurs, ou des situations (insécurité, jeunesse, migration).
Elle sera bilingue (créole et français) et ouverte à une pluralité de styles, à condition que la rigueur conceptuelle et l’éthique argumentative soient respectées.
Organisation et fonctionnement
La revue sera pilotée par un comité éditorial formé de jeunes philosophes en formation, épaulés par des enseignants et collaborateurs expérimentés. Elle sera structurée en plusieurs pôles (lecture, édition, communication), en rotation régulière pour encourager la participation et prévenir l’épuisement.
La revue paraîtra deux fois par an, en format numérique (PDF), hébergée sur un site accessible, avec une stratégie de communication dynamique, et en format papier, si possible. Elle visera aussi des partenariats (universités, librairies, médias critiques), sans compromis sur son indépendance.
Une ambition partagée
Au-delà des textes, cette revue a pour ambition d’initier un mouvement de pensée collective, fondé sur la lucidité, l’écoute, la rigueur et la créativité. Elle aspire à :
Renforcer l’espace intellectuel haïtien, en l’ouvrant à des voix jeunes, engagées et formatrices.
Élargir son public au-delà du milieu académique : militants, éducateurs, lecteurs curieux, citoyens en quête de repères.
S’ouvrir à des projets dérivés : rencontres publiques, cercles de lecture, ateliers d’écriture, ateliers de philosophie pour enfants, podcasts, publications croisées.
Participer à la reconstruction d’un imaginaire collectif, où penser serait un acte vital, et la parole critique un bien commun.
Conclusion
Cette revue philosophique n’est pas un point d’arrivée, mais un début. Une première tentative pour créer un espace où penser est une manière d’agir, où écrire devient un geste d’engagement, où la philosophie retrouve sa puissance sociale.
Elle s’inscrit dans un temps long, un temps de formation, de réflexion et de construction.
Elle avance avec prudence, mais avec détermination. Avec humilité, mais avec ambition.
Apprendre et penser pour comprendre. Comprendre pour agir. Agir pour reconstruire et ouvrir des perspectives.
Groupe Recherche Action en Philosophie