La notion d’« espace public », telle qu’élaborée par Jürgen Habermas dans L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), constitue l’un des piliers les plus influents de la théorie critique contemporaine. En définissant l’espace public comme une sphère intermédiaire entre la société civile et l’État, où des citoyens privés se rassemblent pour délibérer publiquement sur les affaires communes[1], Habermas propose un modèle normatif de rationalité communicationnelle fondé sur la discussion libre, argumentée et inclusive. Cette conception, comme il le reconnait, bien qu’ancrée dans l’histoire sociale de la bourgeoisie européenne[2], a été largement reprise, discutée et transposée à des contextes contemporains divers, que ce soit dans l’analyse des médias, des mouvements sociaux ou de la démocratie participative.
[1] Habermas, Jürgen, L’espace public: archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, p. 38 (Critique de la politique 17).
[2] Ibid., p. 9.
Obed SANON
La crise climatique et la question de la responsabilité
Le changement climatique s’impose aujourd’hui comme un enjeu majeur, reconnu tant par la communauté scientifique que par les instances politiques. Son origine anthropique engage une responsabilité éthique et politique, dans la mesure où la crise climatique concerne directement la survie des êtres humains et des milieux naturels. Dès lors que l’impact humain sur les écosystèmes est admis, une question centrale se pose : qui est responsable ? Cette interrogation sous-tend de nombreuses approches critiques visant à analyser la crise climatique. La notion d’« Anthropocène » met en lumière l’impact global des activités humaines sur la planète, mais certains courants considèrent ce concept comme trop généralisant et dépolitisant. Les écosocialistes préfèrent parler de « Capitalocène »[1], insistant sur la responsabilité du système capitaliste dans la destruction environnementale par ses logiques d’accumulation. Les théoriciennes féministes adoptent le terme « Androcène »[2], soulignant le lien entre l’exploitation de la nature et les dynamiques patriarcales. Enfin, les études décoloniales montrent comment l’histoire coloniale a contribué aux inégalités écologiques et sociales. Toutes ces perspectives convergent pour désigner des structures de domination économiques, sociales, historiques comme responsables de la crise climatique[3]. Cependant, ces approches critiques identifient des systèmes causaux mais peinent à établir concrètement la responsabilité. Les catégories classiques de responsabilité morale ou juridique sont inadaptées à la crise climatique, qui résulte d’un enchevêtrement complexe de pratiques et de décisions, empêchant d’assigner un responsable unique selon les critères habituels[4].
[1] Bien que Löwy ne mentionne pas explicitement le concept de capitalocène, son ouvrage est essentiel pour comprendre le lien entre le mode de production capitaliste et la dégradation de l'environnement. Michael Löwy, Ecosocialisme. L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Mille et une nuits, 2011.
[2] Françoise D’Eaubonne, Le féminisme ou la mort, Paris, Horay, 1974 (Femmes en mouvement 2) ; Jean-Baptiste Vuillerod, « L’Anthropocène est un Androcène : trois perspectives écoféministes », Nouvelles Questions Féministes, vol. 40, no. 2, décembre 2021, pp. 18‑34.
[3] Ferdinand, Malcom, Une écologie décoloniale : penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Éditions du Seuil, 2019.
[4] Voir Catherine Larrère, « Changement climatique : et si nous parlions de responsabilité ? », Revue Juridique de l’Environnement, vol. 43, no. 1, 2018, pp. 159‑173.
Obed SANON